Dès avant la création des présidiaux, la géographie des bailliages et sénéchaussées était en perpétuelle évolution : en effet, les remaniements étaient fréquents, car la création de nouveaux offices était une source de revenus pour le trésor royal. Quand François 1er promit en 1536 l'établissement d'un sénéchal à Libourne, ce n'était par pour épargner le temps et l'argent des plaideurs en leur évitant le déplacement de Bordeaux, mais pour des raisons fiscales.
En mars 1544 (n. s.), les besoins financiers de la Monarchie, devenus de plus en plus urgents, obligèrent François 1er à tenir ses promesses et il fit publier des ettres-patentes établissant un siège auditoire du sénéchal de Guyenne en la ville de Libourne à l'instar d'icelluy de Bourdeaulx. Cette nouvelle juridiction avait comme ressort d'appel les justices de Fronsac, Guîtres, Courras, Saint-Emilion, Castillon, Cubzaguès, Puynormand et Bourg. Cette création suscita une levée de boucliers de la part des officiers du sénéchal de Guyenne : au mois de juin, ils obtinrent la révocation des lettres-patentes. Les Libournais, qui avaient dû payer mille écus pour la création du siège, en réclamèrent le remboursement et, après un procès de dix ans, obtinrent satisfaction. Le roi, toutefois, gardait les mille écus, et ce furent les officiers du sénéchal de Guyenne qui durent procéder au remboursement de cette somme.
L'installation de la cour des Aides de Guyenne à Libourne le 17 janvier 1635 devait apporter une compensation pour les Libournais, mais cette cour fut transférée à Bordeaux deux ans plus tard. Louis XIII créa alors, par édit de mai 1639, un siège présidial et sénéchal à Libourne, avec un ressort d'appel de vingt-et-une juridictions. Une vive opposition se manifesta parmi les officiers des sénéchaussées de Guyenne, Saintonge, Périgord, Bazas, Castelmoron, ceux de la ville de Saint-Emilion et les propriétaires du greffe du sénéchal de Guyenne. Le roi tint bon cependant et, par arrêt du Conseil du 14 février 1640, il ordonna une prompte vérification de l'édit. Le plus lésé par l'opération était Emeric de Bacalan, sénéchal de Castelmoron, qui perdait dans cette affaire les juridictions de Puynormand, Villefanche et Vayres. Aussi, par arrêt du Conseil du 8 mars 1640, il fut nommé lieutenant général de la nouvelle cour. Mais il entra alors en conflit avec Gabriel Bachelier, sieur de Saint-Georges, qui avait été nommé sénéchal de Libourne. Si le titre de sénéchal de Libourne fut maintenu, ce fut pour être réuni le 11 avril 1641 à celui de sénéchal de Guyenne.
Le 28 août 1640, la sénéchaussée et siège présidial de Libourne tenait, faute de local, sa première séance à l'hôtel de ville : cette installation provisoire devait durer jusqu'à la suppression du siège en 1791. Ce voisinage permit aux officiers de la sénéchaussée de s'immiscer dans l'administration municipale ; d'ailleurs, très souvent, des conseillers étaient élus maires ou jurats, parfois l'un d'eux était aussi subdélégué de l'intendant. Formant de véritables dynasties, ils occupaient, sur le plan local, la première place.
I - RESSORT
Le ressort de la sénéchaussée, lorsqu'elle fût créée en 1544, se présentait comme un bloc homogène recouvrant la partie de l'actuel arrondissement actuel de Libourne située au nord de la Dordogne, plus le Cubzaguès et le Bourgès. Mais on essaya en 1639, afin de ne pas déséquilibrer les anciennes sénéchaussées et présidiaux, de donner au siège du sénéchal et présidial de Libourne un ressort qui n'emprunterait à ses voisins que quelques juridictions. Voici ce que fut le découpage des juridictions soustraites à chaque présidial :
Sénéchaussée de Castelmoron (présidial de Nérac) : Puynormand, Vayres, Villefranche-de-Lonchat
Présidial de Bordeaux : Saint-Emilion, Libourne (jurats), Castillon, Guîtres
Présidial d'Agen : Sainte-Foy
Présidial de Périgueux : Montpon, Gurson, Le Fleix, Montravel, Ponchapt, Montazeau, Saint-Aulaye
Présidial de Saintes : Montlieu, Montguyon, La Roche-Chalais, Saint-Aigulin
Présidial de Bazas : Blaignac, Rauzan, Pujols
Par la suite, les juridictions de Puynormand, Vayres et Villefranche furent rendues à la sénéchaussée de Castelmoron, reformant deux enclaves. La sénéchaussée et siège présidial de Libourne jugeait donc en appel de vingt juridictions.
II - COMPETENCE
Le siège de Libourne, à la fois sénéchal et présidial, avait une double compétence : pour les audiences, on faisait une différence entre les causes sénéchales et les causes présidiales, encore qu'il soit difficile de préciser les matières sur lesquelles se faisait cette distinction. La composition du tribunal variait suivant qu'il s'agissait des unes ou des autres : pour les causes présidiales, l'édit de 1552 exigeait la présence d'au moins sept conseillers.
La sénéchaussée de Libourne connaissait en première instance les causes intéressant les nobles et les officiers du roi. Elle jugeait parfois les procès que se faisaient les conseillers au parlement de Bordeaux, et de droit ceux où étaient intéressés les officiers de la cour des Aides et leur famille (arrêts du Conseil des 13 août 1643, 30 mars 1666, 26 mars 1669, 7 septembre 1674, 15 février 1675, 31 décembre 1677, 13 janvier 1711). Sa compétence s'étendait aux causes concernant les bénéfices ecclésiastiques, les actes de foi et hommages, la plupart de celles qui touchaient au Domaine du Roi.
En matière criminelle, elle jugeait certaines affaires soustraites aux justices seigneuriales, soit en vertu du droit de prévention, soit parce qu'elles appartenaient à la catégorie des cas royaux, soit enfin par commission confiée au lieutenant général par le parlement de Bordeaux.
En matière de police, la compétence des sénéchaussées est très étendue, mais en pratique le parlement de Bordeaux se réservait le monopole des règlements ou ordonnances. Le siège de Libourne était réduit à enregistrer et publier les ordonnances royales et les arrêts du Parlement soit à son de trompe, soit par simple lecture en l'auditoire.
En matière civile, la sénéchaussée et siège présidial de Libourne traitait des matières intéressant les successions, tutelles et curatelles, saisies réelles et baux judiciaires. C'est à son greffe qu'étaient insinuées les provisions d'office des juges, notaires, sergents et huissiers du ressort, les donations entre vifs, les déclarations de défrichement et les lettres de ratifications des contrats passés devant notaire.
Les appels du siège étaient portés devant le parlement de Bordeaux.
III - PERSONNEL
Si le nombre des officiers des bailliages et sénéchaussées n'était pas limité, celui des officiers des présidiaux, fixé en 1552 à sept conseillers, plus un procureur et un avocat du roi, fut par la suite considérablement augmenté, mais les offices étaient parfois vacants. Voici le nombre d'offices prévu par l'édit de février 1771 et l'arrêt du Conseil du 6 juillet suivant, et, en regard, le nombre d'offices pourvus à Libourne (5 B 485, 18 décembre 1772) :
2 présidents | 2 présidents |
1 lieutenant général civil | 1 lieutenant général civil |
1 lieutenant général criminel | 1 lieutenant général criminel |
1 lieutenant particulier civil | 1 lieutenant particulier civil |
1 lieutenant particulier assesseur criminel | 1 lieutenant particulier assesseur criminel |
1 conseiller clerc | - |
12 conseillers lais | 3 conseillers |
1 procureur du roi | 1 procureur du roi |
2 avocats du roi | 1 avocat du roi |
1 greffier | 1 greffier |
Voici, au 18 décembre 1772, les données auxquelles étaient évaluées ces offices :
Président | 3000 l. |
Lieutenant général civil : | 25000 l. |
Lieutenant général criminel | 10000 l. |
Lieutenant particulier assesseur criminel | 4000 l. |
Conseiller | 1000 l. |
Procureur du roi | 7500 l. |
Avocat du roi | 5000 l. |
Greffier en chef | 6000 l. |
Sénéchal
Réservé aux gens de robe courte, cet office fut rattaché par arrêt du Conseil du 11 avril 1641 à celui de sénéchal de Guyenne à la demande du comte de Lavauguyon ; il y eut seulement à la sénéchaussée de Libourne un lieutenant général aux gages de 600 livres :
Gabriel Bachelier, sieur de Saint-Georges, 31 mai-8 octobre 1640 ;
Pierre Roy (3000 l.) ;
Ogier-Alexandre de Canolle, sieur de Lescours (21000 l.). Suppression le 11 avril 1641.
Président présidial
Cet office, créé en 1557, fut supprimé en 1560, rétabli en 1563, de nouveau supprimé par l'ordonnance de Blois et rétabli enfin en 1582. Il n'existait pas à la création du siège de Libourne et ce ne fut qu'un peu plus tard que furent créés deux offices de présidents présidiaux dont les titulaires furent :
Premier Président
Hellies de Bordes | 1645-1661 |
Jean de Bourret | 1661 |
Pierre Bérard | 1693-1698 |
Jacques Dumas | 1698-1719 |
Thibaut Dumas de Fonbrauge | 1719-1724 |
Pierre-Ignace Dumas | 1724-1748 |
Léonard Bulle | 1748-1773 |
Second Président
Jean de Verlhac | 1660 |
Thomas David | 1660-1678 |
Jean de Pipault | 1693-1714 |
Jean Demay | 1738-1748 |
Jean Lemoyne-Lavergne | 1748-1772 |
Lieutenants généraux de la sénéchaussée
Le lieutenant général exerce l'autorité à la place du sénéchal dont le titre est purement honorifique. La création d'un office de lieutenant criminel n'est pas l'amorce d'une séparation entre la justice civile et la justice criminelle ; il s'agit d'une mesure purement fiscale. Les titulaires en furent :
Lieutenants généraux civils
Eymeric de Bacalan | 1640-1647 |
Jean Fauchier de Versac | 1649-1659 |
Arnaud Dumas | 1693-1719 |
Thibeau Dumas de Fonbrauge | 1719-1721 |
Pierre-Ignace Dumas | 1721-1741 |
Léonard Bulle Vente de l'office de lieutenant général en la sénéchaussée de Libourne par dame Jeanne Canolle de Lescours, veuve de Messire Thibeau Dumas, seigneur de Fonbrauge, et Messire Thibeau Dumas, seigneur de Fonbrauge, son fils aîné, comme propriétaires dudit office, du consentement de Léonard Bulle, titulaire actuel d'icelui, en faveur de Jean Lemoyne, avocat, moyennant 24000 livres. Procuration et résignation par Léonard Bulle en faveur de Jean Lemoyne (Isambert, notaire à Libourne, 23 novembre 1756). | 1748-1756 |
Jean-Baptiste Lemoyne | 1757-1782 |
Lieutenants généraux criminels
Guillaume Limousin | 1655 |
Bernard Bourret | 1708-1712 |
Etienne Limousin | 1727 |
Jean-Baptiste Durand | 1772-1775 |
Pierre-Bonnaventure Berthomieu Vente de l'office de lieutenant général au Sénéchal et Présidial de Libourne par Pierre-Bonnaventure Berthomieu, lieutenant criminel et trésorier de France, au sieur Pierre David, bachelier en droit, de Libourne, moyennant 10 000 l. (Despiet, notaire à Bordeaux, 26 juillet 1785). | 1776-1785 |
Pierre David | 1785-1791 |
Lieutenants particuliers
Les lieutenants particuliers servent d'assesseurs au lieutenant général et le remplacent, en cas d'absence, à la présidence du tribunal. L'office de lieutenant particulier assesseur criminel fut créé en 1586. Supprimé en 1588, il fut rétabli en 1596. A la sénéchaussée de Libourne, il existe depuis la création.
Lieutenants particuliers civils
Jacques Thibault | ? |
Jean de Verlhac | 1660 |
Thomas David | 1660-1678 |
Jean Demay | 1708-1738 |
Jean Lemoyne-Lavergne | 1738-1748 |
Jean-Baptiste Demay | 1748-1758 |
Jean-Joseph Decazes | 1758-1777 |
Philippe-Bernard Limousin | 1777-1789 |
Godefroy-Bondy-Geoffre de Lanxade | 1789-1791 |
On voit que cette charge a été exercée par le second président ou le lieutenant général.
Lieutenants particuliers assesseurs criminels
Jean Pénichaud | 1640 |
Pierre Bérard | 1665 |
Jean Bourret | 1661-1686 |
Bernard Bourret | 1686-1712 |
Jean Belliquet | 1712-1743 |
Etienne-Jean Belliquet J.E. Belliquet résigna d'abord son office en faveur de Jean-Etienne Voisin, le 16 juillet 1769 (Isambert, notaire à Libourne (Arch. dép. Gironde 2 C 2860, fol. 83°). | 1747-1769 |
Jean-Etienne Voisin | 1769-1777 |
Philippe-Bernard Limousin | 1777-1791 |
Procureurs du roi
Il n'y avait lors de la création en 1640 qu'un avocat du roi ; l'année suivante il y eut au parquet un procureur du roi.
Titulaires :
Lemestre | 1641 |
Arnaud Dumas | 1646-1657 |
Cassagne | 1657-1759 |
Magne | 1688 |
Arnaud Bouyer | 1711-1739 |
Mathieu Bouyer | 1740-1777 |
Avocats du roi
Il n'y eut toujours à Libourne qu'un seul avocat du roi (Cependant, le 6 avril 1768, par devant Decazes, notaire à Libourne, Bertrand Favereau vend à Pierre Degrange jeune l'office de premier avocat du roi pour 4000 l (Arch dép Gironde, 2 C 2859, fol 178 v°)
Titulaires :
Emery Daugereau | 1640-1671 |
François Proteau | 1671-1690 |
Jean-François Proteau | 1690-1721 |
Vincent Proteau | 1721-1755 |
Jean Le Quien de Saint-Rémy | 1755-1771 |
Pierre Desgranges-Moulin | 1771-1777 |
Pierre-Pascal Fourcand | 1777 |
François Piffon | 1777-1791 |
Conseillers
Les conseillers forment une assemblée purement consultative, le lieutenant-général qui préside n'étant pas lié par leur avis. A Libourne, ils n'ont jamais atteint le nombre fixé par les ordonnances et les offices ont été monopolisés par quelques familles : les Chaperon, les Decazes, les Lemoyne, les Demay... Bien que les conseillers soient égaux entre eux, l'ancienneté finit par créer une hiérarchie, et tel conseiller se donne le titre de doyen.
Outre le greffier en chef titulaire d'un office, assisté de greffiers commis par lui, le personnel comprenait des huissiers-audienciers, des huissiers et des sergents.